Comme le rappelait récemment Julia Marton-Lefèvre, directrice générale de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), « la Nature est la base essentielle qui permet et entretient la vie sur notre planète ».
Nourriture, eau, médicaments, abri, air non pollué… tous ces produits et services indispensables à la vie, et beaucoup d’autres, proviennent de la nature. Lors de la conférence internationale sur la pauvreté et l’environnement, qui a eu lieu à Paris les 27 et 28 juin 2012, il a été important de rappeler que nous dépendons tous pour notre survie des innombrables bienfaits de la nature, et c’est plus particulièrement encore le cas des populations pauvres.
Cependant, les organismes internationaux d’aide au développement et les gouvernements donateurs ont largement négligé le rôle de la nature, se tournant plutôt vers des programmes de « développement » à grande échelle, portant parfois atteinte à l’environnement, pour aider les pays à sortir de la pauvreté. Dans certains cas, les résultats sont tout autres.
Les protecteurs de la nature ont échoué à persuader les économistes et les praticiens du développement de l’importance à long terme de l’environnement pour le développement. Sollicités pour donner des preuves de l’apport concret de la nature au bien-être humain, ils ont trop souvent eu du mal à convaincre. Mais ceci est en train de changer.
Des études récentes de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), indiquent que les forêts, par exemple, apportent 130 milliards de dollars d’avantages directs et tangibles à 1,6 milliards de personnes parmi les plus pauvres au monde, soit plus que l’aide totale cumulée des pays donateurs !
En outre, une étude révolutionnaire, « L’économie des écosystèmes et de la biodiversité », montre que des écosystèmes naturels, comme les zones humides, les récifs coralliens et les forêts, représentent jusqu’à 89 % de ce que l’on appelle « le PIB des pauvres », à savoir les moyens d’existence des populations pauvres. Ainsi, au Burkina Faso, par exemple, un projet de l’UICN soutenu par le gouvernement français a mis en évidence que 80 % des revenus des ménages pauvres sont liés à la forêt protégée de Nazinga.
Un certain nombre de pays commencent à y prêter sérieusement attention. Ainsi, le Rwanda a lancé récemment une initiative destinée à inverser d’ici 2035, à l’échelle nationale, la tendance actuelle de la dégradation des sols, de l’eau, des terres et des ressources forestières. L’UICN a été étroitement associée à sa mise en place et l’organisation apportera son soutien au gouvernement du Rwanda afin de faire de l’environnement un moteur important du développement du pays.
D’ores et déjà, des pays « mégadivers », dont l’Inde, montrent la voie à suivre : ils adaptent leurs économies afin qu’elles soient plus respectueuses de l’environnement et prennent mieux en considération les services de la nature dans les comptes nationaux. Il ne suffit pas d’accroître nos investissements dans la nature : il faut aussi faire les bons investissements. L’aide au développement doit être aménagée afin d’éliminer les obstacles discriminatoires, établis de longue date, qui empêchent un partage équitable des avantages issus de la nature, d’assurer le respect des droits de ceux qui contribuent le plus à la conservation des actifs naturels et de les soutenir dans leur responsabilité de gérer durablement ces derniers.
Lorsque tout ceci se met en place, les avantages sont démultipliés, tant pour les populations humaines que pour la nature. Ainsi, une fois qu’elles ont été davantage impliquées et ont eu plus d’influence sur la gestion locale des pêches, 1 200 familles du Bangladesh ont obtenu que soit multipliée par dix l’indemnité payée par les autorités publiques au titre de la période d’interdiction de la pêche, ce qui a accru les revenus familiaux et amélioré en même temps la pérennité des ressources.
Il est également temps de nous reposer la question de savoir où investir. Les associations locales, les petites et moyennes entreprises, les aires conservées par des communautés locales et autochtones, sont plus proches du terrain, ont souvent des coûts de transaction moindres et un meilleur rendement des investissements.
Après l’indépendance de la Namibie, son gouvernement a cherché à assurer l’égalité des droits pour les populations locales en enregistrant officiellement les zones communautaires de conservation. A l’heure actuelle, 59 aires de conservation s’étendent sur près de 130 000 km2 de milieux naturels intacts riches en espèces sauvages; près de 800 personnes à plein temps et 250 saisonniers y sont employés.
Des espèces rares et menacées, comme le rhinocéros noir, sont déplacées des parcs nationaux vers ces sites, ce qui montre le degré de confiance des autorités à l’égard des capacités des communautés en matière de gestion des ressources naturelles. Des écologistes de différentes régions du monde, des steppes de Mongolie aux forêts du Ghana et aux grandes plaines du Nord des Etats-Unis, regardent vers la Namibie pour en tirer des enseignements applicables dans leurs pays. Eu égard à la crise financière actuelle, de nombreux gouvernements réexaminent de près leurs budgets et leurs priorités. Cependant, la crise représente aussi une occasion de repenser l’aide au développement.
Avec « le commerce, pas l’aide », nous avons reconnu que les deux sont nécessaires. Ceci s’applique également à « la nature, pas l’aide » pour le développement durable : nous constatons que la nature peut apporter des solutions à un certain nombre d’enjeux pressants du développement, de la sécurité alimentaire au changement climatique.
Il nous reste moins de cinq ans pour atteindre l’objectif mondial fixé par les Nations unies, consistant à diviser par deux le nombre de personnes vivant dans la grande pauvreté ; moins de dix ans pour atteindre un autre objectif mondial : arrêter la perte de la diversité naturelle.
Il faudra, pour y parvenir, redoubler d’innovation, de coopération et de détermination pour montrer la voie. Il est temps de reconnaître la nature pour ce qu’elle est vraiment : un investissement judicieux et une occasion à ne pas rater permettant de réduire la pauvreté de façon durable.